dimanche 30 mars 2008

Le chat noir du jardin

Je serai le chat noir qui hante ton jardin.
Ton jardin des supplices cachés,
Ton jardin suspendu au silence.
J’irai, stoïque, entre tes idoles de marbres aux yeux d’oubli…
Aux pieds d’une Aphrodite sans bras,
Aux bras d’une Victoire sans tête,
Je marquerai les limites de mon absence…
Pour que ses effluves amers achèvent de ronger tes certitudes glacées.
Et tu te souviendras de moi,
Quand les rides de ton sourire saigneront
Sans déraison apparente….
Qu’une voix étoilée éteindra tes espoirs
Et crucifiera tes désirs d’un mot.
Celui que tu m’as dit un soir,
Au jardin.

Sans regret

Je suis humaine par temps de pluie…
Ça vous étonne on dirait ?
Pourtant je le suis, femme rivière,
Le front noyé en vagues brunes,
Collé à la vitre avide…
Elle espère que mes regards la pénètrent,
La traversent,
L’ignorent.
Elle attend de pouvoir jouer son rôle de mur fragile.
Mais non.
Les yeux en berne,
Je passe outre le monde qui m’étreint plus qu’il ne m’entoure…
Je glisse entre ces doigts glacés,
Murène de satin sous haute tension pathologique ;
Je fais onduler mes anneaux, mes années,
Et je prends la fuite.
Sans heurts, sans cris, sans larmes.
Je tire un rideau de rêve sur mes pupilles monochromes
Et elles s’enroulent autour de mes vides intimes…
Réflexe animal de préservation,
J’invective le silence,
Je sonne la retraite de mes solitudes ;
Je me retire du monde réel.
Pour l’écho d’une heure peut-être,
Mais sans regret.

Etre humain

L’humanité est boulimique.
La mort aussi.
Et je leur ressemble.
Car je porte au plus profond, l’essence,
Le germe de l’immolation,
Les sens cachés de la multitude,
Les secrets de la souffrance,
Les lois de l’humiliation…
Toujours plus et plus loin.
Et je psalmodie l’horreur au rythme du temps qui passe,
Je chante entre mes dents de carnassier, limées,
Le divin cantique de la cruauté gratuite.
Et d’où je suis –limite cérébrale- j’entends les chœurs…
Tous les peuples qui entonnent le refrain de la fin.
Mille civilisations, polychromie de langues, de peaux, d’histoires…
Milliards de créatures aux différences identiques qui hurlent ;
Et qui s’affairent à nourrir la sainte mère anti-matière…
Farandole de nègres écorchés,
Salade de youpins à l’étouffée,
Liqueur d’enfants-putes sur banquise fondue…
Dans des assiettes en costards bleus, faisons bombance !
Vous reprendrez bien un peu d’armes bactériologiques ?
Ca relève le goût de la guerre…
A un niveau d’horreur encore jamais atteint.
Une brochette de soldats en dessert ?
Elevés en camps disciplinaires sponsorisés par l’avenir.
Sans oublier le coulis de tortures secrètes,
Et ses effluves sordides de sexe et de sang…
Vous êtes écoeuré ?
Déjà ?
C’est donc que, dans le fond,
Vous n’êtes pas humain… ?

Black Sheep





Je suis noire.
A l’intérieur.
De cette teinte d’ombre qui rassure,
Quand le monde solaire brûle les pupilles,
Dilate les iris voraces jusqu’aux bords des orbites.
Sous la gaine de mes chairs pâles se cache la nuit silencieuse des poètes…
Et parfois, aux lisières de mes cils calcinés,
Elle remonte par vagues d’amertume ;
Pour couler, translucide, jusqu’à l’orée des cris éteints…
Ma bouche.
Scellée par la lumière dans un baiser inique.
Une étreinte imposée qui m’arrache à la paix…
Chaque matin.
Je referme les yeux en éclipses de Lune,
Pour retourner au cœur des ténèbres intimes, sereines…
De cette autre que je suis,
Noire,
A l’intérieur…

Instantanné de vie de couple ordinaire (nouvelle)

Dis, mon amour ? Pourquoi tu m’aimes ?

Quoi ? Tu m’as parlé ?

Pourquoi tu m’aimes ?

Ma mère m’a apellé ce matin, il fait gris sur Paris.

Est-ce que tu me trouves plus belle nue ?

Tu aurais pas vu mes clefs de bagnole ?

Est-ce que je suis vieille ?

Pas trop cuit le steack mon amour…

Et est-ce que tu m’aimeras quand je serais vieille ?

Il y a plus de papier dans les wc !

Tu trouves pas que ça fait longtemps qu’on a pas fait l’amour ?

Je t’aime.

Pourquoi on irait pas au restau ce soir, en amoureux ?

Putain, 150 euros pour quatre pneus !

J’aime pas quand tu m’embrasses sur le front…

Tu es ma femme mais aussi ma meilleure amie. Et ça, c’est beau.

Tu n’as plus envie de moi, c’est ça ?

On commande une pizza ?

A tout à l’heure chéri, je vais chez l’esthéticienne !

T’as un amant c’est ça ?

Je t’aime.

Merde, une lettre du Trésor public !

Je vais partir un jour.

L’an prochain, on change de voiture, on se traîne !

Tu ne m’as pas embrassée aujourd’hui.

Il y a plus de crème au chocolat dans le frigo.

Tu ne me fais plus l’amour.

J’ai battu Maurice au squash, il était vert !

Tu n’as pas vu que je m’étais fait couper les cheveux.

J’ai pas trop grossit en dix ans quand même…

Ton corps est grotesque.

Il y a longtemps que tu nous as pas fait un bon rôti…

Ton souffle endormit me révulse…

J’achèterais bien un home cinéma moi…

Je vais partir. Demain.

Faut qu’on aille voir ma mère le mois prochain.


Il fait beau aujourd’hui !

Marie ?

J’ai bien fait de mettre une robe légère !

Marie ! Tu es dans la salle de bain ?

Le train est à l’heure, génial !

Marie…



« Allo maman ! Marie est partie ! Elle m’a quitté, j’arrive pas à le croire ! Elle n’a laissé qu’un mot bizarre, je comprends rien merde ! On étaient si heureux ensemble, pourquoi elle me fait ça ? … »

La paix ! (nouvelle)

Brut de décoffrage...
Ce que je fais dans la vie ?
Est-ce que je t’en pose des questions moi ?
Quoi ? Tu t’es senti agressé par ma réponse ?
Il ne t’est pas venu à l’idée que je n’avais pas envie de te parler ?
Si je ne souris pas, si je ne te regarde pas, ça veut dire quoi, d’après toi ?
Retourne à tes lumières de jardins anglais, oublie-moi s’il te plaît. Je veux juste rester là, tranquille, stoïque, sans sentiments. Sans avis sur les choses, sans pensée positive. Apparemment tu ne comprends pas, et tu reviens aussitôt à la charge. Tu penses me donner de la chaleur ou de la compassion ? Je n’en veux pas, tu es con ou tu es con ? J’ai juste envie d’une parenthèse, d’une longue stase. Mais tu ne connais pas ça, toi, tu papillonnes en cherchant à alléger ton karma. Je n’en veux pas de ta sympathie, je n’ai pas envie de te connaître. Ce que je sais de toi me suffit déjà. Je suis sûre que tu as peur des araignées, des serpents, des rats… Tu as peur de la vie, quoi. La trouille d’être seule parmi les gens, isolée du mouvement. Moi je suis bien dans ce rôle, comme la lampe dans un coin du salon. Je ne demande rien a personne, je ne veux rien savoir des autres. Détourne ton regard, essaye le gars en noir là-bas. C’est un bien beau gaillard, costaud, souriant et hyper sociable visiblement. Regarde, il parle avec tout le monde, il danse, il boit. C’est ce type-là qu’il te faut, un vrai soleil de crémaillères, tout en chaleur et en fantaisies. Si je le connais ? Oui… Enfin non, je ne sais plus. J’ai cru le connaître. C’est sûrement ça… Comme toi, je pensais dur comme fer que les mots que les autres nous livrent ne sont que vérités. Je pensais que les regards noirs et feux, les caresses et les promesses ne savaient pas mentir. Bref je me suis plantée, encore… Je me le suis planté lui, là, où ça palpite normalement. Maintenant ça bouge, machinalement. Ça fonctionne, c’est tout. Comme mes yeux, mais sans mon cerveau. Mes pupilles se baladent, regardent ce qui se passe mais les images ne trouvent plus de sens sous mon crâne. Je le vois bien, Lui. Il vit, il rit haut et fort. Sa voix toujours claire, sans fausse note, sans désaccords. Sauf quand il me regarde, là ça déraille. C’est fugace, presque indécelable. Juste le temps que fait le malaise quand il traverse son esprit. Ce malaise, c’est moi. Mais je n’ai jamais vu la couleur de son esprit. Il m’en a défendu le libre accès. Je l’ai traversé les yeux bandés. J’étais là mais aveugle, comment j’aurais pu déceler la profondeur du vide ? Et son cœur… Celui là, je ne sais pas, c’est peut-être un mythe. Le mien, il y a longtemps que je n’en ai plus de nouvelles. Je l’ai donné, il n’est jamais revenu. Et le sien, il ne m’a jamais parlé, je ne saurais pas le reconnaître. Même son corps m’a mentit en fait. Et j’ai tout cru, tout pris. Lui, il ne donnait rien, il prenait tout. Sa chaleur, ses élans, sa tendresse… Tout était rétractable. Le parfum de sa peau comme seule preuve de nos rencontres. Ce parfum-là ne pouvait pas mentir. Sa peau, oui. Elle, elle m’a aimé. Et je l’ai adorée, je l’aime encore, sûrement… Maintenant j’en suis privée. La mienne ne me sert pas à grand-chose, juste à me traîner encore à côté de lui partout où il a envie d’aller. Jusqu’au terminus. Là où il prendra un autre train que le mien. En attendant le moment où je le regarderai partir de mon quai de solitude, laisse-moi en paix… Laisse-moi le regarder, le déranger par ma présence, le pousser au-delà de sa tolérance. Colère et désespoir, un cocktail bien chargé où je jette toute la glace de ma résignation. Je suis trop lâche pour le quitter et trop conne pour ne plus rien espérer. Tu vois, pas besoin d’en discuter, je le sais. S’il te plaît, laisse-moi en paix…



30.04.06

Et après ? (nouvelle)

Qu’est-ce que tu dirais si…

J’entrais dans un bar du port de Macao, un fume-cigarette au bec, le porte-jarretelles bandé sur ma peau caramel et la jupe fendue jusqu’au frisson ? Tu viendrais m’offrir un verre d’un pas désabusé, bien planté dans ton costume de lin froissé ? Tu laisserais ton accroche cœur flotter au dessus de tes yeux couleur caraïbes ? Ou tu te contenterais de laisser ton regard redessiner ma silhouette aux courbes impudiques ?

Qu’est-ce que tu ferais si…

Perdu dans la lecture d’un canard triste, tu me découvrais assise sur le même banc que toi à l’arrêt de bus ? Est-ce que mon parfum suffirait à te faire rougir ? Est-ce que tu baisserais les yeux sur mes pieds pour en apprécier la petitesse ? Tu te redresserais pour faire plus massif ? Tu rechercherais un reflet quelconque de toi pour vérifier ton allure ? Tu regretterais d’avoir fumer cinq minutes avant ? Tu prendrais une expression concentrée sur ton journal ou bien tu le rangerais avec des gestes virils ?

Qu’est-ce qui se passerait si…

Une robe rouge carmin moulée au corps, je t’invitais à danser le tango de la Muerte ? Est-ce que tu frissonnerais ? Est-ce que tu regarderais d’abord mes yeux ? Est-ce que tu penserais au goût de mes lèvres ou au rythme de mes hanches ? Aurais-tu envie de plonger entre ce qui nous sépare ? Glisserais-tu quelques mots pyromanes au long de ma gorge dorée ? Tes mains suivraient-elles la précision de la musique ou la chute de mes reins possédés ?

Qu’est-ce qui arriverait si…

Depuis le comptoir d’une salle de concert, tu me voyais entrer toute de cuir emballée ? Lèvres pourpres, mûres écrasées, regard charbonneux et tignasse noire bleutée ondulant sur les reins, tu vois le tableau ? Tu aimerais que mes bottes pointent dans ta direction ou bien tu aurais les jetons ? Tu apprécierais que je lacère ton dos de mes griffes au vernis bleu nuit ? Que je t’enchaîne au lit ? Que je t’insulte ?

Qu’est-ce qui changerait si…

Nous nous mettions au lit après une longue prière à genoux sous le crucifix de la chambre ? Est-ce que tu chercherais la partie transparente de ma longue chemise de nuit immaculée ? Est-ce que tu guetterais la pointe de mes seins à travers le tissu ? Est-ce que les effluves de savon de Marseille t’exciteraient ?


Et si rien ne changeait entre nous ?
Est-ce que tu aurais peur ?

Enfance amère (nouvelle)

Quand je suis née, je n’étais pas désirée. Par ma mère du moins. Je ne me lamente pas mais cet état de fait est important pour la suite. Donc « maman » puisque c’est ainsi qu’il faut que je la nomme, n’était pas à la fête ; Et pour cause, une vingtaine d’années plus tard j’ai apprit –de sa bouche !- qu’elle n’était pas très sûre que je sois bien la fille de l’homme qui m’avait donné son patronyme. Pourquoi m’avait –elle avoué cela ? Etait-ce seulement vrai ? J’aurais pu vivre très heureuse en l’ignorant. Sans doute l’affection que je portais à mon « père » lui faisait-elle de l’ombre…

Enfin bref, troisième et dernière fille de la fratrie issue de cette femme-là, j’ai été élevée dans un style assez peu orthodoxe. Du style, échanges de coup de sabots de mauvais cheval quand ce n’était pas les gifles tourbillonnantes et autres marques d’attention physiques et douloureuses. Oh, pas des brûlures de cigarettes (maman ne fumait pas) ou des supplices atroces. Juste la trempe, la punition a genoux sur une règle ou la privation de nourriture ou de soins. Bref, depuis toujours je sais à quel point un enfant peut être polymorphe par soucis de survie.

Avant l’âge de dix ans, j’ai ouvert un dictionnaire pour comprendre ce que voulait dire le mot avorter. A force d’entendre : si j’avais pu avorter quand j’ai su que je t’attendais je l’aurais fait ! Cela m’avait titillé. La notion est restée floue quelques temps encore mais l’idée du concept était bien présente à mon esprit. Ma devise d’enfant est vite devenue : tu ne veux pas de moi, et bien moi je ne veux pas de toi non plus. Je me tournais donc vers mon père. Lui, souvent absent savait néanmoins témoigner de l’affection à ses filles. Il devînt vite mon héros face à la marâtre qui me rejetais continuellement. C’était une position facile pour lui ; il rentrait, je me jetais à son cou alors que sa femme tolérait à peine qu’il l’embrasse sur la joue. Avant mon adolescence, il essaya bien de faire comprendre à ma mère que je méritais mieux que son mépris, en vain. Vers mes onze ans, elle me prit en aparté pour grogner les dents serrées : si je quitte ton père ce sera à cause de toi ! Tu es toujours à aller raconter tout ce que je fais ! De toute façon tu es mauvaise, aussi mauvaise que tu es moche ! Si je pars, ton père, il se tuera c’est sur !
J’ai donc fini par me persuader qu’elle disait vrai. Et je me suis éloignée de lui. Je voulais le protéger. Là vous allez penser que j’exagère, j’en suis persuadée. Ou bien vous vous demanderez ce qu’il en était avec mes sœurs aînées. Je n’exagère rien, et mes sœurs étaient parties de la maison des l’âge de dix sept ans ; elles vivaient loin. J’étais seule. Et c’est là que l’ironie de la situation me fait sourire jaune. Ma mère n’ayant plus que moi à la maison, elle se mit à chercher un travail. Nous habitions alors une maison perdue dans la campagne, sur le bord d’une nationale très fréquentée. Le ramassage scolaire se faisait en car et dès l’âge de huit ans je devais me rendre à l’arrêt seule. Unique enfant de ce hameau, vous n’imaginez pas le nombre d’hommes qui peuvent proposer à une fillette un tour en voiture ou en camion d’ailleurs. A chaque fois, pour toute réponse, je fixais le pervers et crachait un juron ou une expression déjà entendue dans la douce bouche de ma mère : Va mourir connard, ou salaud etc. Il m’est arrivé de prendre la fuite aussi, une fois ou deux. Quand l’homme éteignait son moteur et descendait de son véhicule. Là, la panique me changeait en courant d’air. Mais bon… Avec le recul je sais que j’ai eu de la chance ; c’est sans doute pourquoi je suis aussi protectrice avec mes enfants aujourd’hui.
Donc, ma mère finit par trouver un travail. Et quel travail pour une mère comme elle ! Elle devînt, par je ne sais quelle opportunité, nourrice à la DA SS. Ironie du sort ou manque de curiosité des administrations ? Je ne sais pas trop. Tout ce que je me souviens de cette époque d’avant l’arrivée des enfants c’est qu’elle se vantait d’avoir trouvé le boulot en or, bien payé, à rester chez soi. J’en ai la nausée encore aujourd’hui quand j’y pense. Aucun élan de compassion pour ces gosses déjà malmenés par la vie, ce sentiment ne faisait pas partie de son caractère. Bref, vint le jour où je rencontrais les premiers « gosses de la DA SS » dont elle devait avoir la charge. « Gosses de la DA SS » c’était l’appellation préférée de ma mère, leur titre officiel même au sein de la famille. Les deux premiers enfants–qui allaient rester chez nous trois ans- furent deux frères ; L’aîné, Marc âgé de sept ans et le petit, Franck, de dix huit mois. Leur père les battait, eux et leur mère. On les avait donc confiés à une nourrice pour les mettre à l’abri de ces violences. J’ai presque envie de rire là. Ou de vomir, j’hésite. Marc était un petit brun souriant pas très finaud mais attachant ; son petit frère était tout son contraire physiquement : très blond, les yeux clairs et plutôt triste pour un si jeune enfant. Son vécu expliquait cela évidemment. D’emblée, j’ai prit ces deux intrus en grippe. Je ne voulais rien avoir à faire avec eux. J’avais déjà tant de mal à exister dans cette maison, je me suis imaginée que ma mère avait enfin ce qu’elle avait voulu : des fils. Je me trompais. Je l’ai réalisé au fil des jours. Ma mère n’avait jamais voulu de fils plus que de filles, elle n’avait jamais voulu d’enfant réellement voila tout. En tout cas, elle n’était pas faite pour en avoir.

En société, ma mère passait pour une femme généreuse et courageuse. Pensez-vous, recueillir ces petits malheureux ! Dans l’intimité la vérité était toute autre… Les coups, brimades, punitions toujours plus innovantes allaient de soi. Marc cassait un objet sans le vouloir, à genoux sur une baguette de bois pendant une heure, après la « trempe » bien sûr. Il faut noter un détail au sujet des trempes de ma mère : elle ne s’arrêtait de cogner que quand l’enfant pleurait ET criait suffisamment fort. Sinon à quoi bon ? Donc ensuite punition. Un jour elle jugea que la baguette ne rentrait pas assez dans les genoux. Elle s’appliqua à clouer dessus des capsules de bouteilles de bière. Une autre fois, elle fut excédée par le fait que Marc buvait plus d’un verre d’eau au cours d’un repas. Elle le força à boire un broc entier ; il finit par vomir tout le liquide, juste avant de repartir pour l’école. C’est étrange comme je revois distinctement ce broc. Un produit Arcopal en verre marron…

A cette époque, j’ai apprit à me fondre dans le décor et j’avais la paix. Bien sûr si je faisais une tâche sur ma robe j’avais droit à quelques noms d’oiseaux du genre : marie-salope. Mais c’était un moindre mal comparé aux garçons. Aujourd’hui je ressens une culpabilité étouffante en pensant à eux. Mais quand on ne reçoit rien, on a rien à donner. Nous vivions sur deux planètes différentes et je ne les ai jamais laissé visiter la mienne.

Je n’étais pas très bonne à l’école et la moindre appréciation du type « médiocre » écrite en rouge sur mon cahier me vexait profondément. Mais je n’arrivais pas à apprendre mes leçons par cœur. Tout s’embrouillait dans ma tête dès que je répétais bêtement. En fait, si je n’avais pas comprit quelque chose au moment où l’institutrice nous l’expliquait, je n’arrivais pas y voir clair en relisant la leçon seule, à la maison. C’est là que je me suis transformée en éponge. Je voulais avoir de bonnes notes donc il fallait que je comprenne tout à la première écoute. Et ce n’était pas si simple. Le tri se fit donc naturellement. Je retenais plutôt bien les règles de grammaire, l’histoire, la géographie, les sciences naturelles… Pour le reste, tout ce qui touchait aux chiffres, je me retrouvais vite face à un mur opaque. Donc j’abandonnais cette matière purement et simplement, trichant juste assez pour donner l’illusion du travail. Ma moyenne flottait difficilement entre le quatre et le cinq… Inconsciemment ou nom, je m’évertuais à essayer de ramener de bonnes notes à mes parents. Toute fière de présenter un dix sur dix en dictée à ma mère, comme si cela aurait suffit à changer son comportement envers moi. Dans les bons jours, elle lâchait un : c’est bien, comme si elle le vomissait. Dans les autres jours –plus quotidiens- elle me demandait avec un sourire narquois : et en maths, tu as eu combien ? Je ne répondais pas la plupart du temps. Ces moments d’échanges scolaires étaient les seuls que nous ayons à cette période. J’avais dix ans à peine et nous n’avions déjà plus rien à nous dire. Je ne lui disais rien mais je l’observais. Comme on regarde, fasciné, un requin évoluant dans son bassin. Et j’apprenais beaucoup. Les garçons confiés à ma mère étaient comme deux petits cobayes à mes yeux. Leur jeune âge et leur innocence leur faisaient commettre des bourdes déclenchant aussitôt la colère de ma mère. Je prenais note des erreurs à ne pas commettre, me tenant ainsi toujours à l’écart de ses accès de fureur. La révolte était pourtant là, dans ma tête. Et la guerre aussi, sans que mon ennemie ne le sache. J’évitais de la croiser dans la maison, pendant les repas je l’observais encore et toujours. Et comme elle n’avait pas besoin de raisons réelles pour distribuer réflexions acerbes et sarcasmes, je répondais. Dans ma tête. Au début, je m’imaginais lui répondre d’énormes insultes ; De celles qui défoulent sans savoir pourquoi. Des mots laids, sales, lubriques et pourtant tellement apaisants quand on n’est que colère. Je me sentais constamment électrique, il suffisait qu’elle me frôle pour que tous le poils de mon corps se dressent. Je ne supportais plus son contact, son odeur, sa voix. Je n’y trouvais rien de positif, de bon…
Avec le temps, je ne supportais plus le contact des autres personnes non plus. Ni mon père, ni même mes sœurs que je voyais rarement. Je n’avais de contacts physiques qu’avec mon chat et les autres animaux de la maison. Leur présence m’apaisait toujours. Je vais en faire sourire quelques uns en disant que l’on peut s’attacher à une poule, un canard ou même une dinde. Mais j’aurais certainement pu me prendre d’affection pour un arbre s’il avait eu un regard à tourner vers moi…
Aujourd’hui encore, la trentaine passée, j’ai beaucoup de mal à toucher physiquement les gens qui m’entoure. Et entre sœurs, nous ne nous câlinons jamais et nous ne nous sommes jamais dit de petits mots de tendresse. Comme si on nous l’avait interdit en nous en privant. On imagine pas la répercussion des gestes ou des non-gestes des parents dans la construction d’un enfant. Je me suis fabriquée moi-même. Comme un château de sable constamment remanié, les fondations balayées par la mer. La forteresse que je me suis bâtie est ma prison maintenant. Et je ne détiens pas les clefs. Je suis et serais toujours hantée par cette enfance d’amertume. Je peux la raconter, en parler à qui veut l’entendre, elle sera toujours la même. La mienne.
Si j’ai apprit seule ce qu’une mère devrait enseigner à sa fille, je n’ai aucun regret. La transmission des secrets féminins, comme mille petits cadeaux du quotidien m’a manqué certes. Mais j’ai su voler ces instants à d’autres qu’à celle qui m’a mise au monde. Et je vole encore, j’apprends chaque jour ce qu’une mère, une femme doit être et doit donner. Peu de choses m’atteignent aujourd’hui mais bien plus que quand j’étais petite fille. Personne ne me tient la main sur la route mais je m’en fous. Je suis mère à mon tour, mes mains et mes bras sont pleins. Mon cœur est béant, débordant d’amour et d’espoir. Cela peut paraître mièvre de le dire comme ça mais c’est la vérité. L’autre est mon miroir, je crois en lui. Je sais qu’on peut aimer sans craindre d’être rejeté. Et quand bien même, je pardonne facilement tant je me méfie de la perfection. Et finalement quand je regarde en arrière, c’est elle qui m’a apprit tout ça. Ma mère. J’ai prit le négatif d’une photo d’elle et j’y mets toutes les couleurs qu’elle ignore. Le contre-exemple par excellence. Une image de mère distordue que je redresse patiemment, passionnément. J’ai toujours aimé les puzzles…

Je suis un accident de la nature, pas un enfant de l’amour et alors ? Nous sommes des milliards dans cette situation et nous vivons pourtant. Nous faisons des enfants, nous aimons. Imparfaits et pourtant si purs. Je ne garde qu’une leçon de cette enfance aux relents de haine ; Naître et grandir par accident c’est naître plus libre que les autres, ceux qui ont eu de la chance. Pas aimé ? Donc pas d’obligation d’aimer, de rendre ce que l’on nous a donné. Le choix nous appartient.

Mon lit (nouvelle)

La vie, c’est comme un grand lit. Ca n’a l’air de rien, dit comme ça, un petite phrase toute bête d’enfant de dix ans mais quand on y réfléchit (juste un peu, histoire de tuer le temps)…On naît dans un lit d’abord ; puis l’ordre de naissance donne droit aux lits à étages parfois ; on prend sa place dans la literie hiérarchique familiale en somme. On s’éclate dans d’autres lits que le sien plus tard ; puis il y a aussi des lits de longue maladie pour certains. Pour finir dans un bon pieu satin-sapin où on dormira peinard, à n’en pas douter…

Toujours est-il que, personnellement, j’aime mon lit. Il me ressemble en fait… Avec ses creux, ses bosses, ses pointes de ressorts qui piquent les côtes. Ses draps froissés, plissés, humides à certaines heures de la nuit. Ses deux gros oreillers moelleux, lourds, étouffants comme le remord. Pourquoi deux oreillers d’abord ? Pour l’autre ? Celui qui dort dans mon lit ? Non… Même pas.
Deux coussins juste pour moi, pour caler ma nuque comme j’ai dû le faire un jour entre les seins de ma mère. La tête écrasée sur l’un pour m’endormir alors que je pose négligemment une main sur l’autre, juste pour m’assurer qu’il est bien là. Car si l’un des deux disparaît, glisse jusqu’au sol en douce, je me réveille, troublée, et tâtonne péniblement pour le retrouver, comme si séparés l’un de l’autre mes oreillers ne servaient plus à rien… Tiens, il faudrait que j’appelle mon père…
Et cette grosse couette épaisse, molle et si importante que je m’y accroche dans le noir, même quand je la repousse du pied. C’est si pratique, une couette. Quand on en a marre de sa parfaite blancheur synthétique, hop ! une jolie housse bigarrée ! Et c’est comme une nouvelle chaleur qui nous couvre et nous protège du froid des nuits de solitude. Plus la même allure pour cet objet devenu tellement banal. Un jour c’est bleu pastel, les petits oiseaux et les nuages, et le suivant c’est rouge carmin imprimé de calligraphes japonisants. Et ça ne râle pas une couette quand on veut la changer, c’est fidèle, ça tient toujours aussi chaud. Et puis quand elle est trop usée, trop fine, qu’elle gratte ou qu’elle répand sa mousse aux quatre coins du lit, on file à Carrouf’ et on positive : on en rachète une. Plus grande, plus belle, plus dense. On se fait plaisir car après tout, c’est important le sommeil. La couette que j’ai actuellement, je l’adore. Pourtant ça commence à faire un bail que je l’ai. Mais elle tient les promesses de son étiquette et c’est tout ce que j’attends d’elle…
Comme mon matelas d’ailleurs. Il parait qu’il faut en changer tous les dix ou quinze ans. Mais je n’y arrive pas. Il a prit l’empreinte de mon corps, il me connaît mieux que personne. L’empreinte de mes corps devrais-je dire ! Jeune femme, jeune mère, jeune divorcée puis re-femme, re-mère et depuis quelques années amante et femme tout court…Le lit tout entier est imprégné de mes changements, de mes souvenirs… Je l’ai mouillé de mes larmes sans en avoir honte. Mes enfants l’ont mouillé eux aussi une fois ou deux. Et mes amants sans doute également un peu… Si je le regardais du haut d’un perchoir sanitaire, j’aurais peut-être la nausée mais ce n’est pas le cas. Je lui ai confié tant de rêves, de secrets intimes que nous seuls partageons. J’ai pour mon lit une profonde tendresse. Je l’aime, je vous l’ai dit.

Sortir ce soir (nouvelle)

Je peux commencer maintenant, puisqu’elle l’a décidé. Je n’aurais pas pu le faire sans elle, c’est sûr. Mais puisqu’elle me prête ses mains, je peux parler avant l’heure et c’est presque un miracle. Je ne saurais pas dire quel jour on est exactement et ce n’est pas important finalement. Je sais qu’elle vient de se lever parce que ça tangue un peu ici. Elle a encore mal aux jambes on dirait ; L’ambiance n’est plus aussi chaloupée qu’au début. Mais enfin, je m’habitue à tout et cela ne fait que commencer il paraît. Je sais d’instinct que bientôt d’autres évènements suivront et que je devrais y faire face pour grandir dans ce monde.

Le monde du dehors, celui qui fatigue maman. Si elle était dans un univers comme celui où je suis, elle n’aurait pas tant de peine à marcher et respirer. J’entends sans cesse des échos étranges qui font battre son cœur plus vite ; Elle respire fort parfois et mon cocon se fait plus étroit, comme si on l’oppressait… Trop souvent à mon goût. J’entends sa voix changer aussi, s’éloigner de moi pour se faire plus haute et là aussi ma bulle devient moins souple. Qu’est-ce qui peut bien la troubler comme ça ? Je ne suis plus très pressé de voir ce monde qui la tourmente. Pourtant il faudra bien que j’y aille, je le sens. Je grandis déjà, mon antre devient trop petit. Pour délasser mes jambes trop longtemps repliées, je dois pousser fort les murs souples autour de moi. Et là, je sens maman qui tressaille.

Elle a mal ? Je ne pense pas… Je n’ai pas mal moi, et je suis elle. Mais je ne sais pas finalement, c’est quoi « avoir mal ? ». Je l’entends se plaindre de ses jambes, son dos, la chaleur. Et je ne sens rien moi. Que la chaleur du liquide et les parois lisses qui m’enveloppent. Peut-être que si je ferme les yeux très fort et que je me concentre, je verrais, je comprendrais tout…
Oui, comme cette voix-là, lointaine. Je la reconnais cette voix. Elle est parfois si proche de mes oreilles. Ce n’est pas celle de maman, c’est celle de l’autre. Papa ? Oui je crois que c’est ça. Papa c’est la voix grave qui fait que maman et moi, on se sent calmes. C’est aussi cette grande ombre un peu lourde qui me cherche à travers les murs de ma bulle. Maman aussi fait des ombres, mais c’est plus léger, je les connais bien les siennes. J’aime aller me coller contre elles, je ressens presque leur chaleur. Contre celles de Papa, c’est plus dur et plus grand. Je m’y colle aussi mais je préfère envoyer des bourrades ; ça fait résonner la voix de Papa et maman ensemble, c’est agréable.
Il y a d’autres voix que je peux entendre d’où je suis. Des voix plus légères et plus vives aussi. Parfois elles me font sursauter mais j’aime aussi quand elles résonnent tout près.
Il y a des moments où je n’entends plus rien. Plus rien que le cœur de maman, calme, lent. Là je peux bouger autant que je le peux, rien ne réagit au dehors. Ma bulle est souple, je m’y retourne. Je tortille mon cordon, je suce mon pouce, j’ouvre et je ferme les yeux. Je patiente, je teste…
Il y a des bruits bien sûr. Des gargouillis, des ronronnements, des choses que je n’entends presque plus tellement je les connais. Seuls ceux du dehors m’intéressent depuis quelques temps. Finalement j’ai hâte. Tous ces sons doivent bien ressembler à quelque chose. Toutes ces voix sont peut-être des êtres, comme moi. Comme maman…
Depuis combien de temps suis-je ici ? Depuis toujours… Il faut que je sorte ! Je suis prêt maintenant maman, tu le sais bien. Allez, s’il te plaît, je peux sortir ce soir ?

Une époque

Elle courrait après le bus cette fille-là
Elle ne sortait jamais sans son perfecto et ses docs
Elle teignait ses cheveux en rouge rubis
Elle se déchirait les tympans à coup de mano, de béru
Et elle les rejoignait dans les bars
Les fantômes d’extrême gauche
Ceux qui ont crashé leur souffle sur le zinc
Ceux qui ont fini par sniffer les zébras
Au bout de la ligne blanche
La ligne qui se dit « continue !»
Vorace…
Ceux-là, elle s’en souvient avec mélancolie
Et sourire en coin
Mourir jeune c’est romantique
Entre deux semi-remorques, ça l’est moins déjà
Enroulé autour d’un feu rouge ou d’un platane
Ce n’est pas glamour
Et un coup de surin dans un troquet
C’est carrément moche
L’acné dans les mégots
Pour un mot de trop

Les autres, ceux qui ne sont pas tout morts,
Elle oublie de s’en souvenir.
Lâcheté tenace
Qui grandit avec l’âge
Son regard s’effrite sur les roues du fauteuil
Sur les guiboles malingres
Vidées de leur jeunesse
Sa bouche est sèche
Sur la joue du cul-de-jatte
Lui, le play-boy, le beau gosse
Lui, l’amputé, le demi vieux
Faut l’oublier ma fille
Le temps des crêtes est passé
La pseudo révolte, envolée
Regardes-toi dans leurs yeux
Ceux des ces minots gothiques
Ça te rappelle rien ?

Si, mon âge.

Ambivalence (nouvelle)


Un mot, juste un pour décrire ce qu’on ressent quand on a porté et mit au monde un mystère. Parce que la vie est un mystère. Et il se niche ici, dans cette enveloppe fragile et rose ; Dans cet être neuf qui teste l’existence à travers un brouillard de sensations. Mais comment répondre à ces milliers d’attentes sans noms ? La compréhension, l’amour, n’est pas une science infuse et ne le sera jamais…Un squelette entier brisé de fatigue, le cerveau usé d’être constamment dans l’anticipation des besoins de cet autre. Comment croire que la réussite de tout ça ne tienne qu’au bout des bras anémiques de l’instinct ? Comment te comprendre mon amour, mon tourment ? J’ai tellement souhaité ta venue et aujourd’hui… Cette nuit… Mes entrailles se consument de regrets, de colère contenue. Mes oreilles me font mal sous tes cris ; mon estomac se retourne, indigestion d’impuissance. Pourtant il y a aussi ces moments que tu me donnes avec parcimonie. Ces instants où ton sourire distribue des étoiles d’or ; ces minutes d’éternité où je me nourris de ton visage lisse, prisonnier du sommeil. Et tes regards où dansent les feux follets quand tu découvres les modulations chantantes de ta voix. Comme un rossignol amoureux de son aubade…Mais maintenant, en cet instant, ta voix est une lance qui me vrille les tympans. Et je ne sais plus. Peut-être n’ai-je même jamais su… J’ai fait tout ce qu’on apprend à faire, utilisé d’autres recettes de mon cru, et toujours…Tu cries. Pas de larmes ici, pas de sanglots. Juste ces hurlements furieux de dictateur déchu. Ces cris, scies égoïnes qui me déchirent les nerfs. Toi, comme un animal en passe de devenir humain et moi, trop cérébrale pour comprendre ta rage encore primale. Je voudrais disparaître comme ça, m’évaporer ! Et je voudrais m’enfuir ventre à terre jusqu’à cet endroit où je n’entendrais plus ta fureur. L’horizon peut-être. Mais non. On ne doit pas, il ne faut pas. Une mère doit l’être jusqu’au bout. Il faut rester, trouver le remède à tous ces maux sans noms, sans raisons…Et surtout, ne pas en vouloir à ce petit être si bruyant de ne pas être parfait. Ne pas être aussi beau, aussi calme que ce que l’on attendait. L’enfant rêvé. Qu’est-il devenu quand celui-ci est né ? Demeure-t-il comme un regret dans un coin de mon esprit ? Ou bien les défauts du nouveau-né ont-ils chassés le rêve d’un hurlement bestial ? Il vit encore en moi. Et il poursuivra son existence en même temps que l’enfant réel. Il grandira sans jamais me décevoir puisque c’est là la tâche de celui qui crie et respire. Deux routes parallèles qui se croiseront parfois au hasard des aspérités de la vie. Moment de grâce où une victoire insignifiante s’auréole de gloire aux yeux d’une mère. Malgré tout, je sais déjà que tout mon amour ira à l’enfant réel ; celui qui me ressemble dans son imperfection. Celui qui aura encore et toujours besoin de moi. Car en vieillissant je sais aussi que je regretterais ces instants où il ne vivait que par moi. Comme maintenant, en cette minute, où ses hurlements m’appellent aussi fort qu’ils me torturent… Je le sais car pour l’heure, je ne vis que par ses cris…Et ses sourires.

Give me a reason to love you (nouvelle)

Il y a une basse qui suinte dans ce couloir…
J’ondule, bancale, un doigt trace ma route le long du mur. Cet ongle rouge gratte la moquette pourrie, saphir en travers des sillons ; Le balatum noir finit de mourir sous mes talons aiguilles ferrés, sans bruit, sans cri. C’est un violon qui pleure là-bas ou ma raison qui raye les secondes ? J’avance encore, au rythme du ressac alcoolisé de mes veines…C’est quoi un verre de trop dans une vie ? Celui qui tranche le poignet, peut-être. Sur le pas de la porte, ça sent le tabac froid et l’ennui. Je le vois lui, debout devant le juke box qui libère en vibrant son quota de décibels. Et cette fille qui chante, pleure un blues que je ne veux pas comprendre. Une mèche noire se jette devant mes yeux quand je traverse la piste sale ; peut-être pour cacher mon regard éteint, peut-être pour me montrer vers où je vais. Là, en bas, le sol brillant du sucre et des cendres de la nuit. Une nuit glauque, collante sous mes pas. D’autres ont vomit leur solitude ici. Pas moi. Je la traîne comme un chien mort au bout de sa laisse…Certains ont agité leur mal de vivre ici, oriflamme anémique, sémaphore pathétique. A se dire parfois que ça doit faire du bien de mal finir. A se chercher dans les pupilles troubles qui gravitent tout autour, aveugles…Avoir mal plutôt que ne rien avoir du tout. Société de consommation du sentiment qui échange les rêves au prix du cancer. J’ai tout soldé. Pour ça, le regard mâle qui m’effleure l’âme ; La bouche lisse qui oublie une pensée sur la mienne. Et la voix usée qui souffle : »T’as l’air fatiguée ma puce…Allez on va dormir. ». Dormir, ouais, dormir…

Elle (nouvelle)

A Régine...


Elle, elle marche pieds nus dans le jardin. Et nous trottons au devant et à côté… Les plis soyeux de sa longue robe pourpre nous envoient ses effluves de femme. Son parfum, ses odeurs intimes qui l’identifient entre tous ses semblables. Et pendant que mes compagnons courent et jouent aux quatre coins de ce sanctuaire de verdure, je reste fébrile, dans son sillage à elle. Frôlant ses chevilles, caressant subrepticement ses mollets de ma queue ondulante. Et guettant ses regards et ses mains, toujours avide de ses caresses. Je suis la dernière venue ici, parmi ses autres animaux. Je me suis invitée dans son décor au détour d’une grille entrouverte… Et son regard amusé m’a accueillie sans autre effusion. Un regard qui caresse et une main qui se tend vers mon abandon… Je n’ai pas pu… Puis une coupelle de lait sur le rebord de sa fenêtre. Un peu de nourriture un autre soir. Un peu plus de sa présence derrière la fenêtre chaque jour. Un peu plus d’elle dans l’air que je respire. Un peu moins de méfiance quand son ombre croise la mienne sur le perron. Un peu plus de jazz félin dans ma tête quand elle m’invite de loin de son timbre bienveillant. Un peu trop d’envie d’attraper ces jouets qu’elle lance à ceux qui l’accompagnent, avec ce rire... Son rire à elle. Et mes entrailles qui répondent de loin à chaque invitation…
Un après-midi d’été, j’ai pu. De derrière un rosier je l’ai vue s’étendre sur l’herbe, un livre à la main. Le grand chien qui dormait à l’ombre ne l’a pas rejoint et j’avais vue la vieille chatte quitter le jardin quelques minutes plus tôt. C’était l’instant. Je sentais son odeur de pain chaud m’appeler silencieusement. Quatre pattes noires ont pianoté lentement dans la folle végétation jusqu’à la chevelure qui s’y étalait, au bord du sommeil. J’ai respiré de près une mèche sombre, pour graver ce moment dans chaque fibre de mon être. Pour que cette signature ne soit que la sienne dans ma mémoire de bête. Puis j’ai avancé encore sans qu’elle ne perçoive ma présence. Et j’ai pu sentir sa peau claire, juste au dessus de ses yeux mi-clos. Je guettais ses mains, impatiente de goûter aux caresses que je l’avais vu donner à ses compagnons. Un tressaillement infime de ses cils m’averti, elle venait de s’apercevoir de ma présence toute proche. Elle eût un soupir amusé je crois. Et elle tourna son visage vers moi en murmurant : « Je savais bien que tu viendrais… ». En cet instant, alors que sa voix envahissait mes oreilles et mes entrailles, mes ronronnements se firent plus intenses que jamais et je ne pus m’empêcher de venir frotter ma tête anguleuse sur la sienne, toute en rondeurs… Plus tard, je goûtais, extatique, à ses mains vagabondes, à la chaleur de son ventre, à ses baiser parfumés…
M’enchaînant par le cœur à cette femme,
Irrémédiablement,
Volontairement,
Sans regrets…

Laisse ta porte entrouverte, un soir j’oserais peut-être…

Bestiole (nouvelle)

Je sais, je suis ta chose… Mais je voudrais être une bestiole. Ça n’a l’air de rien comme ça mais j’y pense souvent. Pas seulement la chatte ou la panthère qu’on voudrait toutes être, non.
L’araignée hideuse aussi, comme celle que tu tritures pour me faire peur. Celle qui tisse son quotidien en silence, qui regarde l’univers de son coin de plafond huit fois plus stoïquement que nous. Celle qui se nourrit de poussière parfois, et qui sait s’en contenter. Je pourrais te dissoudre le cœur d’une étreinte et me repaître de toi dans une longue extase statique. N’attendant rien de toi que cette vie qui palpite sans raison. Me nourrir d’elle et abandonner ton enveloppe sans regret…Pas d’états d’âme, pas de remords entre nous. Pas de faux semblants ou de vraie culpabilité, juste transférer une vie dans une autre. Vases communicants sans communication aucune. Tellement plus simple, tellement plus pur. Sentiment lisse d’innocence après un crime nécessaire à la survie…

Ou bien lisse et froide comme les lignes du serpent. Mais un venimeux, à tout prendre. Etre une vipère, oui. Cornue, aspic, peu importe mais venimeuse. Juste le temps pour moi de te laisser penser que tu peux me manipuler à ta guise ; te laisser faire glisser mon corps entre tes doigts fascinés. Te regarder quand tu cherches à reconnaître mon espèce, ce que je cache. Et enrouler mes écailles autour de tes poignets, caresse glacée et emprise délétère. Juste avant de planter mes crocs dans ta chair pour apercevoir l’expression de panique mêlée de stupeur de ton visage. Et cette bousculade de gestes pour me rejeter au loin. Délicieux chaos témoignant de ta peur. Ton cœur battrait encore plus fort alors que je disparaîtrais entre les épaisseurs des feuillages. Mon souvenir gravé en toi comme cette douleur, deviendrait l’emblème de ta phobie… Après m’avoir vue, tu m’aurais prise, je t’aurais blessé, tu m’aurais rejetée mais tu ne pourrais plus m’oublier. Est-ce là un souvenir d’amour ou juste un incident reptilien ?

Je me sens tellement animale par instants, que je me jette au sol sans remords. Quand ta carapace d’être civilisé a bâillonné ton instinct ; quand des considérations abstraites t’éloignent des palpitations de mon corps… Je pourrais me rouler à tes pieds, feuler et onduler, rien ne te ramène au cœur de tes racines animales. Dans ces moments peut-être, je pourrais regretter de ne pouvoir t’emprisonner entre mes griffes. Être plus forte que toi, mordre ta nuque, déchirer ta peau, respirer ta peur… Te punir de ne pas me regarder. Te dévorer purement et simplement, aussi avidement que je t’aime.

Animal amoureux qui ne connaîtrait pas la haine ou la rancune. Juste la nécessité de l’instant. Sans cruauté, sans barbarie ni perversion. Une bestialité pure, une sauvagerie innocente. Et cette fidélité épisodique qui ne serait liée qu’au moment présent. Par la force des choses et du renouvellement de l’espèce. Sans préjugés ni règles établies par d’autres… Libre.

Mon Lui

Sa voix cassée,
Ses mains calleuses,
Sa bouche ourlée,
Je suis heureuse…

La mélodie rocailleuse de son rire,
L’étreinte chaleureuse de ses bras,
Ses certitudes en l’avenir,
Ma longue route s’arrête là.

Deux enfants nés de rien tout,
Accidents de parcours de fin d’amour…
Deux assoiffés de vie, deux fous ;
Un toi, un moi, un nous.

Je vois en toi mon frère siamois,
Reflet de mes travers variables ;
Je te redresse, tu te tiens droit,
Je suis la loi, tu es la fable.

Si je me suis nourrie d’hivers
Tu m’as apprit le soleil, l’été.
Perdue partout sans ta lumière,
Ton souffle jusqu’ici m’a guidée.

Donnes moi ce que je n’ai pas eu,
Et je te comblerais de vertus.
Donnes moi ce que tu as tant voulu,
Et je t’en rendrais tant et plus…

Mon cœur, ma matrice seront ton empire,
Tes bras, ton cœur, ton âme : mes remparts.
Je ne suis qu’une femme, un demi avenir
Viens achever mon être, que rien ne nous sépare…

LORELEI

La revoilà la scandaleuse…
Oriflamme de dentelles moirées,
Ravinant les mâles désirs,
Et les certitudes promises…
Langoureusement,
Entre les cuisses de la Succube
Il y a le tombeau des virilités.

Je veux plus !

Je veux plus que le ciel au dessus de ma tête,
Je veux des hirondelles, des étoiles, des comètes !
Je veux plus que le vent soulevant la poussière,
Je veux des ouragans, des orages de lumières !

Je veux plus que ce cœur qui ronronne toujours,
Je veux de l’hystérie dans mes élans d’amour !
Je veux plus que le cri qui clôture l’orgasme,
Je veux des hallalis pour achever ses spasmes !

Je veux plus que tes bras qui se tendent vers moi,
Je veux ta peau, ton sang, ta bouche et ses émois !
Je veux plus que les heures tournant autour de nous,
Je veux les arrêter et les mettre à genoux !

…Inachevé infiniment.

Poison lent et doux

De mon esprit rubigineux
Suinte parfois un tendre aveu…
Comme un soupçon insaisissable,
Un souvenir ancien, coupable.

C’est chaud et froid,
Long et furtif…
Brutal, courtois,
Dur et lascif…

C’est l’angélus de ma prestance
Qui sonne faux en ton absence…
Matin, midi, soir et matin,
Echo maudit, écho sans fin…

Tu t’insinues, tu sous-entends
Tu m’empoisonnes, tu m’entreprends ;
Rêve narcotique, calmant !
Transe léthargique du temps.

Encore une heure,
Encore un jour,
Mon cœur se meurt
Sous ton amour.







14/10/00

Quand tu dors

Où vas-tu quand tu dors mon amour ?
Vers quels chemins, vers quels beaux jours ?
Les roulements de tambours de ton nez,
Ne servent-ils qu’à t’annoncer ?

Comme un monarque magnifique
Au pays de l’amour magique ?
Ou cherches-tu par ce moyen
A effrayer les citoyens ?

Je te regarde comme je t’aime,
Avec envie, sans anathème.
Et je vois toute la paix de ce monde,
Sortir, tiède, de ta bouche ronde…

Je cueillerais bien ce fruit sucré
Mais je ne veux te réveiller…
Je veux encore te regarder,
Ta tête brune ensommeillée.

Respirer ta peau
Et épier tes sourires,
Guetter sous tes paupières
Tes pupilles-lumières…

A bout de résistances
Je saisirais ma chance.
Pour me coller à toi,
Me couler sur ta soie…

L’oreille écrasée doucement sur ton torse,
J’entendrais ton cœur me raconter en morse,
Les rêves où je n’vais pas, pays imaginés ;
Mais j’en garde la porte, cerbère enamouré…






2006

Toi

Toi mon soleil, mon arc-en-ciel,
Toi mon délice d’or, de miel,
Toi mon cadeau, toi mon secret
Ecoutes-moi… Je te promets

De ne rien dire,
De ne rien faire,
Ne pas mentir ;
Ombre d’éther…

Ne plus s’enfumer de volutes sucrées,
Ne plus se parer de fausses voluptés,
Etre moi pour ce Toi, nature sublimée.
Toi l’animal humain qui m’a ensorcelée…

Me défaire des attraits que l’on peut se payer
Retrouver pour te plaire la pure nudité
Etre le vent d’été, la pluie inattendue
Etre cet oasis rêvé, entr’aperçu…

Retourner aux instincts des forêts, des rivières…
Humer les variations de désirs de tes chairs,
Reconnaître l’instant, le moment, l’imminence,
Où tu me voudras terre, où tu seras semence…

Odeurs, parfums, saveurs…
Reviens en moi encore une fois.
Gémissements, ardeurs…
Un peu de toi au fond de moi.

Tes mains

Au bout du jour qui s’éternise
Un sanctuaire m’attend, m’attise ;
Comme un radeau qui me retrouve,
Les ailes de mon ange me couvent…

Larges et dures
Comme une armure
Vides et pleines
Elles m’enchaînent

Elles sont tes yeux dans la pénombre ;
Elles sont tes lèvres en surnombre ;
Du bout des doigts, embrasse-moi,
Du bout des lèvres, parle-moi…

Et si ma bouche dans ta paume
Mérite un mot, mérite un psaume,
N’oublie jamais jusqu’à la fin,
Qu’elle ne vivait que pour tes mains…










14/10/00 14h46

Si je rêvais de toi

Si je rêvais encore une fois de toi,

Je ferais un procès à mes synapses.
Je me flagellerais le cervelet à coup de pied de biche.
Je me cloîtrerais la raison dans un couvent de mégalos convertis au suicide.

Je m’inciserais la libido aussi, par dépit.
Je m’immolerais en place biblique,
Espérant qu’on finisse par m’appeler Jeanne,
Et que mon pucelage repousse…

Et je repeindrais les murs de notre chambre
-celle que tu as répudiée-
Avec les hectolitres amniotiques de nos projets mort-nés.

Je faxerais au ciel un imprimé de résiliation
Sans RIB !
Histoire de voir s’il m’offrirait le voyage gratuit cette fois
La dernière.

Essaye de dormir... (nouvelle)

« Essaye de dormir… »
Essaye de mourir…
Et surtout fais ça en silence, dans une autre pièce. Ailleurs que là où je prends mon café du matin. Les larmes ont un goût amer dans l’arabica. Pense à te moucher en silence aussi. Les enfants n’ont pas besoin de te voir dans cet état. « Tu veux un Aspro ? »

« C’est pas de toi dont j’ai pas envie ! J’ai pas envie, c’est tout… ». C’est tout ? Ça veut dire quoi ça au juste ? Que tu as vérifié en regardant d’autres culs pour savoir si eux, te faisaient envie ? Que de temps à autre, tu me regarde pour finir par te dire : »Et ben non, ça, ça me dit rien… ». Que les dessous exagérément vulgaires que je porte pour réveiller ta libido ne sont en fait qu’exagérément ridicules ? Ou alors, seulement si c’est moi qui les portent ?
Je suis une serpillière.
J’aurais vécu chaque histoire d’amour le cul posé sur un coussin de satin rose imbibé d’essence… Et j’ai toujours un briquet à la main…

Tu cherches une amie large d’esprit, déconneuse et pas snob pour deux sous ? C’est moi !
Tu cherches une maîtresse bien chaude, toujours prête et n’ayant pas froid aux yeux ? C’est encore moi ! Tu veux que ta nana la boucle et sourit aux réflexions foireuses de tes potes/collègues/frères/sœurs ? C’est moi aussi… Tu veux que je te fasse un bébé ? Je suis faite pour ça, je te ferais un fils qui te ressemblera en plus ! Tu veux que je porte ton nom à toi, le chef de famille ? Pourquoi pas ? Je t’aime après tout, c’est normal. Tu veux que je te suce pendant que tu regardes la télé ? Ce sera fait avec amour. Et tu comptes tout filmer ? Je ferais comme tu voudras, en pleine lumière si ça te donne plus de plaisir…Tu n’arrives pas à te retenir de jouir plus de cinq minutes ? C’est pas grave mon ange, ça me fait du bien de te faire du bien. Tu n’aimes pas mes amis ? Oh tu sais, ce ne sont pas vraiment des amis, juste des « connaissances »…

J’en fais trop, je n’en fais pas assez, je n’en sais rien…
Mais toujours là, cette impression de vertige. Comme si je tourbillonnais très vite autour de toi jusqu’à disparaître. Tout donner, tout le temps, anticiper tes désirs, te trouver toutes les excuses : je sais faire ça. Mais être heureuse, non, je n’ai jamais su. Jamais apprit. Si tant est que le bonheur soit quelque chose que l’on puisse apprendre… Et finalement j’en viens toujours à me dire que je me contenterais d’être « juste » bien si je ne peux pas accéder au bonheur… Je me contenterais d’un orgasme par mois, par trimestre même. D’une balade dans le parc ou bien seulement d’un regard tendre quand tu rentres le soir. Je pourrais me contenter d’exister dans tes yeux si d’aventure, ma propre vie intérieure continuait sa glissade létale. Comme au début. Tu te rappelles ? Quand tu me voulais. Quand j’étais cette merveille de la nature humaine répondant à toutes tes attentes. Ton idéal féminin comme tu aimais à la répéter. Chaque mot que je prononçais, chaque banalité résonnait de génie à tes oreilles. Complètement shooté, j’étais ta drogue si douce. A l’époque tu n’insultais pas mon intelligence à coup de « Tu ne peux pas comprendre, laisse tomber. » ; et tu ne profanais pas mon corps en t’en servant comme crachoir libidineux. Le déversoir de tes tensions, la garantie basique de ta virilité souveraine…

Tu pars déjà ? Rendez-vous avec un fournisseur ? Tu rentreras tard ?
Tu ne sais pas… Bonne journée mon amour.

Plus loin

Bouton de rose aux pétales frémissants,
Collier d’épines de verre, de chairs, de sang…
Arrache tes racines à ce jardin acide
Fais-en des pieds, des ailes de sylphides.

Et parcours les vallées et les déserts hurlants.
Gorge tes yeux de soirs des lumières du levant,
Ouvre grand tes paupières dans la nuit qui s’avance,
Eclaire les hémisphères, remplit les vides immenses.

Franchis les ponts, les monts.
Bois les chansons, les traditions.
Renais encore sur l’autre bord !
Le même corps, un autre sort.

Et pousse encore, un peu plus loin.
Cherche l’endroit, l’autre matin…
Nouveaux sourires, autres regards
Redécouvrir et tout savoir !

Les mers n’ont pas de noms, les terres sont immobiles…
Elles ne vivront que par tes yeux d’affamé malhabile ;
Apprends-les toutes, elles patientent dans l’éternité…
Elles attendent d’être encore et encore révélées.

Née d'Hiver

Je suis née sous les fougères d’une forêt de pluie.
Et au sortir de ma coquille, l’hiver m’a emportée.
Enveloppée, emmaillotée de tendre givre,
Ses baisers poudreux couronnaient mon front d’enfant perdu…
Dans l’argent de ses prunelles se reflétaient tous mes sourires ;
Je grandissais en lui, debout sur le fil des autres saisons.
Dans l’espoir de ses regards immobiles, de son souffle palpable…
Pieds nus sur les étangs gelés, je marchais sur ses traces…
Il ornait mes cheveux de fractales éphémères,
Déposés ça et là au hasard de l’instant…
Sous ses caresses figées ma peau réanimée
Lui rappelait l’essence –pulsation- qui nous séparait.
Effrontément,
Obstinément,
Douloureusement.
Alors,
Chaque nouvelle année, le printemps qui renaît,
Laisse germer en moi les prémisses de l’attente…
Puisque née sans raison ni désir,
Couvée sous l’aile des frimas,
J’ai grandi en hiver,
Stalactite de glace au coeur de feu follet…
Je suis parmi les hommes,
Hors saison.

N27 ...Première ode à Yann

N°27
Placé gagnant dans la deuxième
Et toi tu fais quoi de ton temps libre ?
Je vais bien, mais c’est du boulot tu sais…
Oui, il paraît, je sais pas trop.


Lobotomie verbale annoncée
Pour le 14 juillet
Par alain gilot-pétré
(il est pas mort lui ? si, moi non plus*)
Il pleuvra ce jour là


Freud préconisait la masturbation pour les enfants à l’endormissement difficile.
Je devrais peut-être essayer
Ou essayer de dormir dans le four
Histoire de catalyse
De micro-ondes
De plateau
De demi-tour congelé au soleil Whirlpool

N°28
Seul en tête, casaque vide

Monologue cérébral
Donc, je disais-enfin presque-rien
Y a d’la joie au pays des seringues
Hypo/épidermiques


No panic_____________________No limit

Strange orgasmic dream...
My cock is a lonely lady
Et couler à pic
Au fond de l’aquarium
Au fond du sushi boat
Derrière le securit du verre
Décapité par l’hygiaphone
Le cœur en travers de l’assiette


Si je comprends pas, tu m’expliqueras dis ? Tu tremperas ton pinceau dans ma couleur ? Tu retailleras les angles de mon bidonville ? L’aiguille du sonar danse la gigue dans mon ravin, perfuse-la, perfuse-moi de retard ! J’me noie dans un ver trop haut. Juste un peu trop haut pour l’ampli, juste un peu trop arc-en-ciel pour être honnête à vrai dire…

Le gay sans le pride c’est le carnaval des lisses ?
Je sais pas trop, j’en parlerais demain dans le journal

Le Blues du vampire

Plus d’odeurs que celles de la peur,
Plus de lumières que celles de ma fureur.
Plus de bruits que ceux de leurs cœurs
Et de leur sang qui pulse à l’intérieur…

Plus de promenades romantiques,
Plus que ces baisers fatidiques.
Plus d’étreintes douces, fugaces…
Plus que ces étranglements voraces.

Plus jamais la pantomime de l’amour,
Plus que la morsure sans longs discours.
Et l’ombre du pieu, de la croix
Pour toute cause de l’effroi.

A quoi me sert d’être immortelle ?
D’être fatale ou d’être belle ?
Mon purgatoire est labyrinthe,
Et ma solitude n’est guère feinte…

Je suis ombre parmi les ombres,
Cauchemar parmi les cauchemars.
Une rose noire sans pétales
Griffée aux épines du mal.

Et si vivre c’est avancer,
Je devance l’éternité.
Mes souvenirs peu à peu effacés
Auront raison de mon humanité.

Pourtant j’ai été fille, j’ai été femme
Déflorée, mariée remplie de flamme !
Et tout s’efface dans un baiser
Celui qu’un vampire m’a donné…

Et depuis le soleil m’a renié
De lui, je dois tout redouter.
Ma peau s’est faite froide, grise.
Seuls mes yeux vivent, leur feu s’attise

Au détour d’une gorge brûlante,
Aux contours d’une nuque charmante…
Et ma salive de reptile maudit
Baigne mes crocs, me rend la vie.

Pour un bien court moment du moins,
Le temps d’aller un peu plus loin.
Rechercher et chasser et charmer et séduire
Poursuivre sans relâche, ma tâche de vampire.




2006

L'ange qui danse (nouvelle)

Le ballet polychrome des sunlights névrotiques prend possession de l’air ambiant.
Et toi. De blanc vêtu, de rythme investi, tu danses ? Presque… Tu vis. Tu nages, tu manges. Tu respires la musique de tout ton corps. Des décibels par intraveineuses invisibles t’alimentent en rêves binaires. Les reins délivrés des désirs obligatoires, répondent par l’instinct aux vagues de sons qui les transpercent… Danse mon ange, il n’y a que toi ici. Les autres ne sont que fantômes quand toi tu engendres la musique en la pénétrant. Je ne peux te rejoindre sur cette piste numérique ; je ne peux qu’admirer ce remix tribal, ce sabbat sans autre flamme que la tienne. Te regarder de mes prunelles de pierre, du fond de mes inhibitions statiques…Toi dont les pieds séduisent le sol au point qu’il semble onduler, jongler avec leur transe. Les yeux tournés vers ta résonance intime, tu deviens paroxystique, inatteignable… Et ton aura rythmique, vibratoire, s’étend et irradie ce qui t’entoure. Lueur bleutée de grâce aveugle et aveuglante. Tu n’es plus homme mon ange, déshumanisé, désarticulé tu flottes… Le bout des doigts jouant sur le piano du temps une mélodie réinventée. Que ça parle d’amour, qu’est-ce que ça peut bien faire ? Au-dessus de l’amour, au-dessus de tout, il y a la musique, il y a la danse. Il y a toi.

La maison

Toi qui te tiens au bord du temps,
Dressée sans fierté, sans sourire…Te souviens-tu de ces enfants ?
Ces feu follets qui parcouraient ton ventre,
Leurs cris de lumière, fugaces et fulgurants ?
Te rappelles-tu de leurs jeux de guerre,
De leurs faux pas d’amour ?
Quand ils jouaient à se faire peur, à se faire mal…
Et qu’ils se découvraient le corps et le cœur
A la lueur de la lune que filtraient tes fenêtres ?
Portes-tu encore les traces de ces vies qui t’habitaient ?
Te souviens-tu de moi ?
Je te visite une dernière fois
En nostalgie…Comme à la pêche aux souvenirs…
Toi qui fut mon refuge,
Toi en qui j’ai dormis.
Toi en qui j’ai grandis.
Jusqu’à ce que tes murs n’en puissent plus
D’emprisonner mes univers.
Je t’aimais tant, je t’aime encore…
Depuis le dernier jour, tu m’as hantée.
Et je sais qu’un autre de ces jours, je reviendrais.
Parce que toujours, tu m’as gardée
Parce que toujours, je t’ai portée ;
Au plus profond, au plus sacré de mes regrets...
A la maison.

Ne plus avoir peur des fantômes (nouvelle)

Eté 81, en août vers 16 heures

Je courais.
Pieds nus, je courais à ne plus rien distinguer de net autour de moi.
Je courais dans les herbes hautes et jaunes de l’été. Le cœur de plus en plus grand dans ce poitrail de gamine. La bouche ouverte pour dévorer les parfums qui montaient de la terre molle. Je courais. Reconnaissant chaque pente, chaque talus couvert de mousse de la plante de mes pieds frénétiques. Et, juste avant une petite colline que je connaissais par cœur, je bondissais, propulsée en avant par l’élan de ma course. Fraction de seconde entre ciel et terre où je n’étais plus que brise silencieuse en robe bariolée… Et je retombais sur trois pattes, pour me laisser rouler au bas de la colline sans un cri ; seulement accompagnée du froissement des herbes qui amortissaient ma chute.
Et quand mon corps tout entier, libéré de sa course folle, s’étendait sur le crépitement de ce pré abandonné, je courais toujours. Dans ma tête. Entre les nuages et le soleil comme une comète anémique faisant son dernier tour de piste.
A quoi rêve-t-on à 8 ans ? Et à 10 ? Et après ?
A toucher les nuages ?
Peut-être…
Moi je rêvais d’autres choses. Des trucs brillants et froids. Ferraille rassurante, inflexible. Possibilité de faire basculer le monde d’un geste. Enfin presque. Mais au moins faire taire mes douleurs spirituelles en la plantant, elle. Personnification de mes malaises. Matrice maudite où je m’étais incrustée de force. Mais un enfant ne peut pas tuer sa mère. Ca ne se fait pas. Et puis, c’est sûrement un pêcher mortel. Je ne crois pas en Dieu mais quand même, je ne veux pas être une pécheresse. Je suis déjà une mauvaise, paresseuse, bête. Et laide. Comme elle puisque je lui ressemble. Le même regard noir, intense, acéré qu’il faut que je baisse pour cacher ma haine. Ces mêmes cheveux noirs, ailes de corbeaux, pour dissimuler les rictus et les larmes. Elle me les a coupés très courts un jour. Mais ils ont repoussés, très vite, ensemencés de peines… Et ce corps d’enfant. De fillette. De future femme, gironde, voluptueuse… Et glacée. Ce terrain fertile qui donne la vie si facilement et qui proscrit la tendresse ; sensiblerie mièvre et inutile. Perte de temps, sans intérêt. Non maman. Je ne perdrais pas mon temps à me retenir d’aimer. Non, je n’interdirais pas aux hommes de me désirer. Non, je ne grandirais pas dans ce moule que tu as façonné de colère, de mépris et d’égoïsme. Et je ne te poignarderais pas un soir de souffrance délirante. Je veux que tes rides se creusent au long de mes jours heureux. Je veux que tu me voies sourire sous les baisers des hommes ; que tu grimaces en m’imaginant quand je leur donne les clefs du temple secret de mon corps. Je veux que tu voies briller mes yeux au moment même où tu devines que je porte encore la trace de leur amour. Je veux aussi que la lumière de mes enfants brûle ton cœur anémique, te fasse ressentir, fugace, l’avant-goût du bonheur qu’ils m’apportent.
Finalement maman, je ne te souhaite que d’approcher ce bonheur, celui que tu as refusé. Ces moments de tendresse que tu as esquivés. Ces espoirs de pardon que tu as balayés. Car j’aurais pu t’aimer. A ma façon. Si jours après jours, tu ne m’avais repoussée tout au bord du vide. Et j’aurais pu tomber aussi. J’ai presque glissé d’ailleurs. D’autres mains que les tiennes m’ont retenue, soulevée, portée au-delà des ruines… D’autres bras m’ont apprit la tendresse, le partage et l’écoute. Ils ont ensevelit le mal sous un tombereau d’amour. Et tu auras beau creuser maman, le soleil qui brille au dessus t’es inaccessible. Tes yeux vides ne pourraient le voir. Il brille à l’intérieur, les mauvais sentiments n’y survivent pas. Les fantômes non plus…

Hélices

De grands couteaux d’acier déchirent
Le ventre bleu du ciel
Une rafale de bruit assourdit le soleil
Un nuage indolent trépasse et soupire

Quand la machine fend son cœur évanescent
Hideux et magnifique tel un Coléoptère
C’est un homme volant, c’est un hélicoptère
Qui va croiser le fer avec le dieu des vents

De ses hélices, -hélas !- il tranche, il coupe et hache…

Un rêve antique qui meure d’être réalisé,
Il aurait mieux valut que personne ne sache
Que l’on peut tout créer et tout réinventer
Si comme l’homme on veut apprendre à voler

Voler le ciel aux dieux
Voler le vent aux cieux
Voler un rêve au temps
Juste en en s’envolant

Tourbillon de poussière qu’on va porter aux nues…

En chasse...

Capricieuse, susceptible,
Caractérielle, acide.
Silencieuse, impassible,
Sensuelle mais lucide.

L’examen d’entrée est visuel.
J’ai fait le plein de munitions ;
Je déambule, sombre femelle,
Parmi les jeux d’animations

Un ténébreux qui se veut prince,
Un blondinet aux dents de loup,
Un intellectuel trop mince,
Et un adolescent un peu fou…

Flairant une voix des profondeurs,
Un frisson fauve court sur mes reins.
Je crève d’un doigt la moiteur
Et m’y faufile d’un pas félin.

La silhouette est là, massive.
Mes iris déjà s’y enroulent.
Mes veines s’animent, éruptives !
Et devant lui, je me coule…

De face, en pieds, c’est un délice…
Mâchoire carrée de lycanthrope
Regard intense, tendre calice,
Rides légères du nyctalope…

Je joue, module ma fréquence,
Je fouette l’air de mes cils,
Lèvres humides, langue qui danse
Bel exercice de style…

Il se redresse sans le savoir
« Vois ma stature et sa sculpture ! »
Son corps me parle, plein d’espoir
Lui la merveille de la nature

Il fait son show et je souris,
Car c’est que le mien est au point.
Mon lit aura son dû cette nuit,
Je ne resterais pas sur ma faim…

Du Blues ?

Tes longs soupirs cunéiformes restent emprisonnés ici,
Et tes regards,
Globalement,
Manquent à l’appel.
C’est un fantôme épileptique qui s’agite devant le miroir
Sans teint,
Sans faim.
Enfin…

Du blues, bu blues, du blues, je veux du blues …

La vie est plus verte dans le Tanga d’à côté ?
L’aparté plus spacieux ?
Le soleil passe par le climatiseur ?
Bien arrivée à Liberty Place,
Il neige mais je vais bien.
Je t’embrasse.
Pas trop fort,
Tu ne sentiras rien, promit.

Du blues, du blues, du blues, il me faut du blues !

Je devrais peut-être
Pleurer,
Tourner en rond,
Etre en orbite autour de ma solitude,
Couper la parole à mes veines,
Appeler ma mère,
Pisser le sang sur la moquette,
Vomir du Tranxène par hectolitres ?

Du blues, du blues, du blues on veut du blues !

Non moi je veux du Ska.
Te mettre un pogo entre les dents.
Signer « ciao » sur ta poitrine
Avec une lame de rasoir…
Et laisser la chatte de la voisine
Lécher tes plaies,
Les gangrener.

La Lambada on aime pas ça, nous on préfère la java !

Dragon


Les mains fouillent la terre,
Les yeux dans la misère,
Au dessus de sa tête
De paysanne, de bête,

Passe l’ombre endeuillant le soleil,
La chimère séculaire, le dragon de lumière.
Il glisse sans détours et pulvérise l’air,
Il promène alentour ses prunelles vermeilles…

Un élan musculeux,
Et il crève les cieux.
Regard miraculeux,
Sans religion, sans dieux…

Et violant le torrent de son corps vipérin,
Il pénètre le flot, impétueux refuge
Et vient s’y reposer, majestueux saurien,
Insensible aux remous, au courant, au déluge…

Tel un cygne de fer, de cuivre et d’étain,
Il glisse sur l’onde folle, y plonge sa couronne
D’écailles et de cornes luisants dans le matin.
Puis il quitte le lit qui après lui, bouillonne…

D’un pas gauche et massif, il a rejoint la rive,
Pour étendre son corps sous le couvert des bois.
Pour endormir la braise de la flamme trop vive,
Qui palpite en son sein telle une puissante foi.

Si le culte du feu l’a emporté parfois,
Sur sa raison bestiale aux profondeurs magiques ;
Le Dragon s’évertue à lui dicter sa loi,
Car il sait le regret du moment fatidique.

Semer la destruction quand on est un titan,
N’a d’attrait au final que pour les imparfaits ;
Epargner à la fleur la colère d’un géant,
Est un art ineffable et gratifiant à souhait.

Le feu de ses entrailles, contenu jusqu’au bout
Il le réserve aux hommes en mal d’héroïsme.
Ceux que l’oubli effraye jusqu’à les rendre fous,

Chevaliers sanctifiés, comble du romantisme.

C'est toi



Quelque chose brille sur le fond bleu de tes espoirs.
Ce n’est pas une étoile,
Ce n’est pas un ovni,
Ce n’est pas un avion…
C’est une idée, somme de toutes tes attentes, produit de ton inconscient.
Et face à mes pupilles couleur vitriol,
Tu ouvres les yeux sur ce mystère qui te consume.
Pour la première fois, tu le découvres…
Tu te rencontres.

Oui, c’est toi.
C’est toi qui allumes le désir dans tes regards,
C’est toi qui te fait l’amour en possédant ces corps,
C’est toi qui te nourris de l’affection des éblouis,
C’est toi qui éclaires la scène de l’avenir.
C’est toi qui choisi, qui embrasse,
C’est toi qui juges,
C’est toi qui joues.
Seulement toi.

Et moi, et elles, et tous les autres,
Gadgets que nous sommes, entassés en strates de souvenirs.
Epinglés aux murs infinis de ton existence,
Cartes postales de tes bons moments,
Ceux que tu as choisis.
Ceux qui ont dit « oui », ceux qui t’ont comprit.
Jusqu’à l’étincelle de vérité crue, sale,
Si petite pourtant face à ta grandeur de papier mâché.
Tu voudrais la fuite princière dans ton univers de strass…

Mais c’est toi qui t’enfuis.
Ce petit garçon en costume d’homme, c’est toi.
Cet enfant-roi aux caprices défraîchis,
Ce n’est que toi et cette lâcheté incrustée sous ta chair.
Ce renoncement inique au respect de l’autre,
Ce déni réflexe devant les blessures dont tu es cause,
Cette absence de scrupules – sentiments trop bas pour toi !-
Ces post-its d’excuses périmées que tu colles à tes semelles,
Ce n’est que toi.

Danse !

Danse.
Cisèle ce rêve brut à coup de pieds nus.
Dévisage la musique du bout de tes jambes envoûtées.
Les talons en sang, rends au sol cette vie en sommeil.
Dessine le tempo,
Traduis cette langue antique aux yeux des êtres fixes,
Statiques.
Imprime dans l’air ambiant les tourments de ton corps.
Et contorsionne ton âme au vent des mélopées,
Apprends au temps placide les lois de la transe,
De la fièvre…
Danse.

Parce que la révolution...

Mai 2008 n’aura pas lieu.

Parce que la révolution,
C’est pas fashion…
Parce que la révolution,
C’est écrit dans les livres d’histoire moisis…
Parce que la révolution,
C’est pour les vieux beatniks qui fument du hasch en quittant le bureau.
Parce que la révolution,
C’est une chanson has been…
Parce que la révolution,
Ça fait mal, et c’est pas clean…
Parce que la révolution,
Ça pique les yeux…
Parce que la révolution,
C’est un concept démodé…
Parce que la révolution,
Elle a plus de batterie.
Parce que la révolution,
Elle passe sous un tunnel de confort
Parce que la révolution,
Ne se fait pas dans les troupeaux de moutons clonés
Parce que la révolution,
Ça ne se fait pas sur Internet.
Parce que la révolution,
C’est pour les miséreux désespérés…
Parce que la révolution,
Brûle des voitures à crédit.
Parce que la révolution,
Pille des boutiques d’informatiques
Parce que la révolution,
C’est l’anarchie au pays des droits.
Parce que la révolution,
Ça ne se fait pas.
Ça surgit.

Siamoises

Petite sœur,
Petit oiseau de lumière,
Siamoise attachée par le cœur,
A mon cœur.
Ton nom palpite en ma paume ouverte…
Je ne refermerais rien sur toi,
Je ne veux que te garder ici, au chaud.
Comme un point de première rencontre
A chaque rendez-vous.
Pour être le côté pile de tes sourires,
La gardienne de tes larmes secrètes
Et de tes ivresses indécentes.
Le chat noir silencieux qui te couve du regard
Du haut du balcon de la tendresse.
Cendre de tes incendies solaires,
Je m’envole, atomisée par une bourrasque de distance ;
Mais ne disparaît pas.
Je reste là où tu m’attendras,
De brumes et des pluies…
Là où nous nous retrouverons,
En poussières étincelles…
En retrouvailles,
Toujours.

Causes toujours !

Des langues agiles, j’ai passé l’âge !
Tu mens brigand ! Tu m’embrigades !
Là je vois rouge, je m’endommage !
Stoppe tes serments, tes salades !

Tes ramassis de riviera
Tes pâles copies d’Alhambra
Et tes hamacs sous les tropiques
Tellement grotesques, comiques !

Ravale ta sale ivresse rose
Retiens aussi tes pets de prose !
Reçois l’effet dont tu es cause
Cet uppercut, cette ecchymose.

Pas de promesses, pas de chansons
Quitte à finir ma vie seule
Avec la satisfaction
De t’avoir fait fermer ta gueule.

Arbeit macht frei

Assise au bord d’un charnier à ciel ouvert,
A quoi aurais-je pensé ?
Est-ce que j’aurais regardé en bas, mes frères ?
J’aurais vomi ma peur peut-être…
J’aurais pleuré sans doute…
Et j’aurais attendu.
Attendu qu’il presse la détente,
Qu’il efface ce dernier signe d’obstination ;
Cette survie,
Ce réflexe de respiration,
Cette obstination à être là encore.

Quand j’ouvre les yeux aujourd’hui,
Quand je regarde le monde redevenir fou,
Encore et encore…
Mes pupilles sont les gouffres sans fond de l’absurdité.
Mes veines charrient les gènes de millions de victimes,
Et de millions d’assassins…
Mon ventre portera peut-être le monstre de demain ?
Il porte déjà le deuil de ces nuées d’enfants martyrs,
Ces légions de dos voûtés alignés vers la mort…
Avec en toile de fond,
Cette culpabilité barbelée…
Elle se dessine sur des montagnes de corps enchevêtrés,
Elle sent la fumée, le sang, l’urine !
Les raisons putréfiées, les déraisons condamnées !
Jour après jour, elle s’amenuise en se gravant aux monuments…
Jamais assez de lettres enluminées pour se rappeler des sacrifiés,
Jamais !
Jamais assez de guerres non plus.
Les corps des noyés remontent un jour ou l’autre en surface.
Ceux des jeunes enfants d’abord,
Puis leur mère, leur père,
Leurs oncles, tantes, grands-pères, grands-mères…
Tous.
Toutes ces lignées fantômes qui tourbillonnent en nous, quelque part…
Et qui nous pointent de leurs doigts décharnés,
Qui hurlent leur fin en silence pour rien ne recommence.

Pulvérisés les corps, les chairs, les familles, les souvenirs ;
Qui pourrait imaginer leur douleur ?
Et qui veut encore se souvenir de l’ignominie de nos aïeux ?
Ces anciens qu’on nous apprend à respecter,
Les soi-disant gardiens de la sagesse…
Oui, si on lui ordonne de le faire un homme peut tout faire.
Humilier, salir, torturer, persécuter, brûler, annihiler

De mon père

Je regarde ma peau changer de visage et je pense à la tienne…
Papa.
Il y avait des grands canyons, des ravins de silence dessinés sur tes mains.
Des autoroutes d’habitudes rassurantes,
Des ruelles de délinquances assumées
Et des impasses sans rêves, sans fonds…

Et dans tes paumes ouvertes sur ma fragilité,
Le toucher du bois chaud qui vibre sans but.
Cette écorce de tendresse aux tracés enchevêtrés.
Je suivais patiemment,
De la pointe de mes yeux neufs,
Leurs lignes sombres, dernières gardiennes des souvenirs…

Sous tes yeux que l’essence des jours carbonise,
Se creuse l’oubli en courbes tristes.
Et à ton front, les barreaux de ta prison intime
Laissent les beaux jours s’évaporer
Au prix de l’usure.
La tienne.

Vieil homme aux mains immenses,
Il me revient les ondulations caverneuses de ta voix.
Ses rides précoces et graves qui me berçaient de rires…
Ses variations sur tous les tons de l’adolescence,
Jusqu’à l’extinction,
Sur un non-dit.